JAURÈS
(3:40) (J. Brel) - © 1977


Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s'appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grands-parents
Entre l'absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d'être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laisse au visage un teint de cendre
Oui, not' Monsieur oui not' bon Maître
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
 
On ne peut pas dire qu'ils furent esclaves
De là à dire qu'ils ont vécu
Lorsque l'on part aussi vaincu
C'est dur de sortir de l'enclave
Et pourtant l'espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux yeux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu'à la vieillesse
Oui not' bon Maître oui not' Monsieur
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
 
Si par malheur ils survivaient
C'était pour partir à la guerre
C'était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelques sabreurs
Qui exigeaient du bout des lèvres
Qu'ils aillent ouvrir au champ d'horreur
Leurs vingt ans qui n'avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui not' bon Maître
Couvert de prêtres oui not' Monsieur
 
Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l'ombre d'un souvenir
Le temps du souffle d'un soupir
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

NE ME QUITTE PAS
(4:12) (J. Brel) - © 1972


Ne me quitte pas
Il faut oublier
Tout peut s'oublier
Qui s'enfuit déjà
Oublier le temps
Des malentendus
Et le temps perdu
A savoir comment
Oublier ces heures
Qui tuaient parfois
A coups de pourquoi
Le cœur du bonheure
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas


Moi je t'offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu'aprè ma mort
Pour couvrir ton corps
D'or et de lumière
Je ferai un domaine
Où l'amour sera roi
Où l'amour sera loi
Où tu seras reine
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas


Ne me quitte pas
Je t'inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras
Je te parlerai
De ces amants-là
Qui ont vue deux fois
Leurs cœurs s'embraser
Je te racontrai
L'histoire de ce roi
Mort de n'avoir pas
Pu te rencontrer
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas


On a vu souvent
Rejaillir le feu
De l'ancien volcan
Qu'on croyait trop vieux
Il est paraît-il
Des terres brûlées
Donnant plus de blé
Qu'un meilleur avril
Et quand vient le soir
Pour qu'un ciel flamboie
Le rouge et le noir
Ne s'épousent-ils pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas


Ne me quitte pas
Je ne vais plus pleurer
Je ne vais plus parler
Je me cacherai là
A te regarder
Danser et sourire
Et à t'écouter 
Chanter et puis rire
Laisse-moi devenir
L'ombre de ton ombre
L'ombre de ta main
L'ombre de ton chien
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

LES VIEUX
(4:05) (J. Brel) - © 1963


Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux 
Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux 
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan 
Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps 
Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier 
Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières 
Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent 
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit: je vous attends 
Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés 
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter 
Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit 
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit 
Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide 
C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide 
Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent 
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend 
Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps 
Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant 
Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère 
Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer

Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin 
Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin 
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent 
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit: je t'attends 
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.

LA QUÊTE
(2:39) (J. Brel) - © 1968


Rêver un impossible rêve 
Porter le chagrin des départs
Brûler d'une possible fièvre
Partir où personne ne part
Aimer jusqu'à la déchirure
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible étoile
Telle est ma quête, 
Suivre l'étoile 
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner
Pour l'or d'un mot d'amour
Je ne sais si je serai ce héros 
Mais mon cœur serait tranquille
Et les villes s'éclabousseraient de bleu
Parce qu'un malheureux
Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccessible étoile.

ON N'OUBLIE RIEN
(3:07) (J. Brel) - © 1961


On n'oublie rien, de rien
On n'oublie rien du tout
On n'oublie rien de rien
On s'habitue, c'est tout.
 
Ni ces départs, ni ces navires
Ni ces voyages qui nous chavirent
De paysages en paysages
Et de visages en visages
Ni tous ces ports, ni tous ces bars
Ni tous ces attrape-cafard
Où l'on attend le matin gris
Au cinéma de son whisky
Ni tout cela, ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la terre est ronde.
 
Ni ces jamais, ni ces toujours
Ni ces je t'aime, ni ces amours
Que l'on poursuit à travers cœurs
De gris en gris, de pleurs en pleurs
Ni ces bras blancs d'une seule nuit
Collier de femme pour notre ennui
Que l'on dénoue au petit jour
Par des promesses de retour
Ni tout cela, ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la terre est ronde.
 
Ni même ce temps où j'aurais fait
Mille chansons de mes regrets
Ni même ce temps où mes souvenirs
Prendront mes rides pour un sourire
Ni ce grand lit où mes remords
Ont rendez-vous avec la mort
Ni ce grand lit que je souhaite
A certains jours comme une fête
Ni tout cela ni rien au monde
Ne sait pas nous faire oublier
Ne peut pas nous faire oublier
Qu'aussi vrai que la terre est ronde.

LE PLAT PAYS
(2:44) (J. Brel) - © 1962


Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers que les marées dépassent
Et qui ont à jamais le cœur à marée basse
Avec infiniment de brumes à venir
Avec le vent de l'est écoutez-le tenir
Le plat pays qui est le mien 

Avec des cathédrales pour uniques montagnes
Et de noirs clochers comme mâts de cocagne
Où des diables en pierre décrochent les nuages
Avec le fil des jours pour unique voyage
Et des chemins de pluie pour unique bonsoir
Avec le vent d'ouest écoutez le vouloir
Le plat pays qui est le mien 

Avec un ciel si bas qu'un canal s'est perdu
Avec un ciel si bas qu'il fait l'humilité
Avec un ciel si gris qu'un canal s'est pendu
Avec un ciel si gris qu'il faut lui pardonner
Avec le vent du nord qui vient s'écarteler 
Avec le vent du nord écoutez-le craquer
Le plat pays qui est le mien 

Avec de l'Italie qui descendrait l'Escaut
Avec Frida la blonde quand elle devient Margot
Quand les fils de novembre nous reviennent en mai
Quand la plaine est fumante et tremble sous juillet
Quand le vent est au rire quand le vent est au blé
Quand le vent est au sud écoutez-le chanter
Le plat pays qui est le mien.

MATHILDE
(2:36) (J. Brel) - © 1964


Ma mère voici le temps venu 
D'aller prier pour mon salut 
Mathilde est revenue
Bougnat tu peux garder ton vin
Ce soir je boirai mon chagrin
Mathilde est revenue
Toi la servante toi la Maria
Vaudrait peut-être mieux changer nos draps
Mathilde est revenue
Mes amis ne me laissez pas
Ce soir je repars au combat
Maudite Mathilde puisque te voilà 

Mon cœur mon cœur ne t'emballe pas
Fais comme si tu ne savais pas
Que la Mathilde est revenue
Mon cœur arrête de répéter 
Qu'elle est plus belle qu'avant l'été 
La Mathilde qui est revenue
Mon cœur arrête de bringuebaler 
Souviens-toi qu'elle t'a déchiré 
La Mathilde qui est revenue 
Mes amis ne me laissez pas non
Dites-moi dites-moi qu'il ne faut pas 
Maudite Mathilde puisque te voilà 

Et vous mes mains restez tranquilles 
C'est un chien qui nous revient de la ville
Mathilde est revenue
Et vous mes mains ne frappez pas
Tout ça ne vous regarde pas
Mathilde est revenue
Et vous mes mains ne tremblez plus
Souvenez-vous quand je vous pleurais dessus 
Mathilde est revenue
Vous mes mains ne vous ouvrez pas
Vous mes bras ne vous tendez pas
Sacrée Mathilde puisque te voilà 

Ma mère arrête tes prières 
Ton Jacques retourne en enfer 
Mathilde m'est revenue
Bougnat apporte-nous du vin
Celui des noces et des festins
Mathilde m'est revenue
Toi la servante toi la Maria
Va tendre mon grand lit de draps
Mathilde m'est revenue
Amis ne comptez plus sur moi
Je crache au ciel encore une fois
Ma belle Mathilde puisque te voilà te voilà.

LES REMPARTS DE VARSOVIE
(4:08) (J. Brel) - © 1977


Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie
Madame promène son cœur sur les ringards de sa folie
Madame promène son ombre sur les grand-places de I'Italie
Je trouve que Madame vit sa vie
Madame promène à l'aube les preuves de ses insomnies
Madame promène à cheval ses états d'âme et ses lubies
Madame promène un con qui assure que Madame est jolie
Je trouve que Madame est servie
 
Tandis que moi tous les soirs
Je suis vestiaire à l'Alcazar
 
Madame promène l'été jusque dans le Midi de la France
Madame promène ses seins jusque dans le Midi de la chance
Madame promène son spleen tout au long du lac de Constance
Je trouve Madame de circonstance
Madame promène son chien un boudin noir nommé Byzance
Madame traîne son enfance qui change selon les circonstances
Madame promène partout son accent russe avec aisance
C'est vrai que Madame est de Valence
 
Tandis que moi tous les soirs
Je suis barman à l'Alcazar
 
Madame promène son cheveu qui a la senteur des nuits de Chine
Madame promène son regard sur tous les vieux qui ont des usines
Madame promène son rire comme d'autres promènent leur vaseline
Je trouve que Madame est coquine
Madame promène ses cuites de verre en verre de fine en fine
Madame promène les gènes de vingt mille officiers de marine
Madame raconte partout que l'on m'appelle tata Jacqueline
Je trouve Madame mauvaise copine
 
Tandis que moi tous les soirs
Je suis chanteuse légère à l'Alcazar
 
Madame promène ses mains dans les différents corps d'armée
Madame promène mes sous chez des demi-sels de bas quartier
Madame promène carrosse qu'elle voudrait bien me voir tirer
Je trouve que Madame est gonflée
Madame promène banco qu'elle veut bien me laisser régler
Madame promène bijoux qu'elle veut bien me faire facturer
Madame promène ma Rolls que poursuivent quelques huissiers
Je trouve que Madame est pressée
 
Tandis que moi tous les soirs
Je fais la plonge à l'Alcazar.

AMSTERDAM
(3:19) (J. Brel) - © 1964


Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent
Au large d'Amsterdam
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui dorment
Comme des oriflammes
Le long des berges mornes
Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui meurent
Pleins de bière et de drames
Aux premières lueurs 
Mais dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui naissent
Dans la chaleur épaisse
Des langueurs océanes 

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui mangent
Sur des nappes trop blanches
Des poissons ruisselants
Ils vous montrent des dents
A croquer la fortune
A décroiser la lune
A bouffer des haubans
Et ça sent la morue
Jusque dans le cœur des frites
Que leurs grosses mains invites
A revenir en plus
Puis se lève en riant
Dans un bruit de tempête
Referment leur braguette
Et sortent en rotant 

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui dansent
En se frottant la panse
Sur la panse des femmes
Et ils tournent et ils dansent
Comme des soleils crachés
Dans le son déchiré
D'un accordéon ranse
Ils se tordent le cou
Pour mieux s'entendre rire
Jusqu'a ce que tout à coup
L'accordéon expire
Alors le geste grave
Alors le regard fier
Ils ramènent leur batave
Jusqu'en pleine lumière 

Dans le port d'Amsterdam
Y a des marins qui boivent
Et qui boivent et reboivent
Et qui reboivent encore
Ils boivent à la santé
Des putains d'Amsterdam
De Hambourg ou d'ailleurs
Enfin ils boivent aux dames
Qui leur donnent leur joli corps
Qui leur donnent leur vertu
Pour une pièce en or
Et quand ils ont bien bu
Se plantent le nez au ciel
Se mouchent dans les étoiles
Et ils pissent comme je pleure
Sur les femmes infidèles


Dans le port d'Amsterdam
Dans le port d'Amsterdam.

J'ARRIVE
(4:46) (J. Brel) - © 1968


De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Nos amitié sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les autres fleurs font ce qu'elles peuvent
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les hommes pleurent les femmes pleuvent 

J'arrive j'arrive 
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé 
Encore une fois traîner me os
Jusqu'au soleil jusqu'à l'été 
Jusqu'au printemps jusqu'à demain
J'arrive j'arrive 
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé 
Encore une fois voir si le fleuve
Est encore fleuve voir si le port
Est encore port m'y voir encore
J'arrive j'arrive
Mais pourquoi moi pourquoi maintenant
Pourquoi déjà et où aller
J'arrive bien sûr, j'arrive
Mais ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver


De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois plus solitaire
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois surnuméraire
J'arrive j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé 
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs pour être bien
J'arrive j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé 
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour le cœur en cendres
J'arrive j'arrive
C'est même pas toi qui es en avance
C'est déjà moi qui suis en retard
J'arrive, bien sûr j'arrive
Mais ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver.

CES GENS-LÀ
(4:41) (J. Brel) - © 1966


D'abord d'abord y a l'aîné 
Lui qui est comme un melon
Lui qui a un gros nez
Lui qui sait plus son nom
Monsieur tellement qui boit
Ou tellement qu'il a bu
Qui fait rien de ses dix doigts 
Mais lui qui n'en peut plus
Lui qui est complètement cuit
Et qui se prend pour le roi
Qui se saoule toutes les nuits
Avec du mauvais vin
Mais qu'on retrouve matin
Dans l'église qui roupille
Raide comme une saillie
Blanc comme un cierge de Pâques
Et puis qui balbutie
Et qui a l'oeil qui divague
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là 
On ne pense pas Monsieur
On ne pense pas on prie 

Et puis y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'à jamais vu un peigne
Qu'est méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gen heureux 
Qui a marié la Denise
Une fille de la ville
Enfin d'une autre ville
Et que c'est pas fini
Qui fait ses petites affaires
Avec son petit chapeau
Avec son petit manteau
Avec sa petite auto
Qu'aimerait bien avoir l'air
Mais qui a pas l'air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n'a pas le sou
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là 
On ne vit pas Monsieur
On ne vit pas on triche


Et puis y a les autres
La mère qui ne dit rien 
Ou bien n'importe quoi 
Et du soir au matin
Sous sa belle gueule d'apôtre
Et dans son cadre en bois
Y a la moustache du père 
Qui est mort d'une glissade
Et qui regarde son troupeau 
Bouffer la soupe froide 
Et ça fait des grands chloups
Et ça fait des grands chloups
Et puis y a la toute vieille
Qui en finit pas de vibrer 
Et qu'on attend qu'elle crève 
Vu que c'est elle qui a l'oseille
Et qu'on n'écoute même pas 
Ce que ces pauvres mains racontent
Faut vous dire Monsieur 
Que chez ces gens-là 
On ne cause pas Monsieur 
On ne cause pas on compte 

Et puis et puis
Et puis y a Frida
Qui est belle comme un soleil
Et qui m'aime pareil
Que moi j'aime Frida
Même qu'on se dit souvent
Qu'on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être 
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pas
Les autres ils disent comme ça
Qu'elle est trop belle pour moi
Que je suis tout juste bon
A écorcher les chats
J'ai jamais tué de chats
Ou alors y a longtemps
Ou bien j'ai oublié
Ou ils sentaient pas bon
Enfin ils ne veulent pas
Enfin ils ne veulent pas
Parfois quand on se voit
Semblant que c'est pas exprès 
Avec ses yeux mouillants
Elle dit qu'elle partira
Elle dit qu'elle me suivra
Alors pour un instant
Pour un instant seulement
Alors moi je la crois Monsieur
Pour un instant
Pour un instant seulement
Parce que chez ces gens-là
Monsieur on ne s'en va pas
On ne s'en va pas Monsieur
On ne s'en va pas
Mais il est tard Monsieur
Il faut que je rentre chez moi.

JEF
(3:36) (J. Brel) - © 1964


Non Jef t'es pas tout seul
Mais arrête de pleurer
Comme ça devant tout le monde
Juste parce qu'une demi-vieille
Parce qu'une fausse blonde
T'a relaissé tomber
Non Jef t'es pas tout seul
Mais tu sais que tu me fais honte
A sangloter comme ça 
Bêtement devant tout le monde
Juste parce qu'une trois quarts putain
T'a claqué dans les mains
Non Jef t'es pas tout seul
Mais tu fais honte à voir
Les gens se paient notre tête
Foutons le camp de ce trottoir
Viens Jef viens viens viens 

Viens il me reste trois sous
On va aller se les boires
Chez la mère Françoise
Viens Jef viens viens il me reste trois sous
Et si c'est pas assez
Ben il me restera l'ardoise
Puis on ira manger
Des moules et puis des frites
Des frites et puis des moules
Et du vin de Moselle
Et si t'es encore triste
On ira voir les filles
Chez la madame Andrée
Paraît qu'y en a de nouvelles
On rechantera comme avant
On sera bien tous les deux
Comme quand on était jeunes
Comme quand c'était le temps
Que j'avais de l'argent


Non Jef t'es pas tout seul
Mais arrête tes grimaces
Soulève tes cent kilos
Fais bouger ta carcase
Je sais que t'as le cœur gros
Mais il faut le soulever Jef
Non Jef t'es pas tout seul
Mais arrête de sangloter
Arrête de te répandre
Arrête de répéter
Que t'es bon à te foutre à l'eau
Ou que t'es bon à te pendre
Non Jef t'es pas seul
Mais c'est plus un trottoir
Ça devient un cinéma
Où les gens viennent te voir
Viens Jef mais viens viens 

Viens il me reste ma guitare
Je t'allumerai pour toi
Et on sera espagnols
Jef viens viens
Comme quand on était mômes
Même que jamais pas ça
Tu imiteras le rossignol Jef
Puis on se trouvera un banc
On parlera de l'Amérique
Où c'est qu'on va aller tu sais
Quand on aura du fric Jef viens
Et si t'es encore triste
Ou rien que si tu en as l'air
Je te raconterai comment
Tu deviendras Rockefeller
On sera bien tous les deux
On rechantera comme avant
Comme quand c'était le temps
D'avant qu'on soit poivrots

VESOUL
(3:09) (J. Brel) - © 1968


T'as voulu voir Vierzon
Et on a vu Vierzon
T'as voulu voir Vesoui
Et on a vu Vesoul
T'as voulu voir Honfleur
Et on a vu Honfleur
T'as voulu voir Hambourg
Et on a vu Hambourg
J'ai voulu voir Anvers
On a revu Hambourg
J'ai voulu voir ta soeur
Et on a vu ta mère
Comme toujours
 
T'as plus aimé Vierzon
On a quitté Vierzon
T'as plus aimé Vesoul
On a quitté Vesoul
T'as plus aimé Honfleur
On a quitté Honfleur
T'as plus aimé Hambourg
On a quitté Hambourg
T'as voulu voir Anvers
On a vu que ses faubourgs
T'as plus aimé ta mère
On a quitté ta soeur
Comme toujours
 
Mais je te le dis
je n'irai pas plus loin
Mais je te préviens
J'irai pas à Paris
D'ailleurs j'ai horreur
De tous les flonflons
De la valse musette
Et de l'accordéon
 
T'as voulu voir Paris
Et on a vu Paris
T'as voulu voir Dutronc
Et on a vu Dutronc
J'ai voulu voir ta soeur
J'ai vu le Mont Valérien
T'as voulu voir Hortense
Elle était dans le Cantal
Je voulais voir Byzance
Et on a vu Pigalle
A la gare St-Lazare
J'ai vu les fleurs du mal
Par hasard
 
T'as plus aimé Paris
On a quitté Paris
T'as plus aimé Dutronc
On a quitté Dutronc
Maintenant je confonds ta soeur
Et le Mont Valérien
De ce que je sais d'Hortense
J'irai plus dans le Cantal
Et tant pis pour By'zance
Puisque que j'ai vu Pigalle
Et la gare St-Lazare
C'est cher et ça fait mal
Au hasard
 
Mais je te le redis
Je n'irai pas plus loin
Mais je te préviens
Le voyage est fini
D'ailleurs j'ai horreur
De tous les flonflons
De la valse musette
Et de l'accordéon.

AU SUIVANT
(3:08) (J. Brel) - © 1964


Au suivant au suivant
Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne
J'avais le rouge au front et le savon à la main
Au suivant au suivant
J'avais juste vingt ans et nous étions cent vingt
A être le suivant de celui qu'on suivait
Au suivant au suivant
J'avais juste vingt ans et je me déniaisais
Au bordel ambulant d'une armée en campagne
Au suivant au suivant 

Moi j'aurais bien aimé un peu plus de tendresse
Ou alors un sourire ou bien avoir le temps
Mais au suivant au suivant
Ce ne fut pas Waterloo non non mais ce ne fut pas Arcole
Ce fut l'heure où l'on regrette d'avoir manqué l'école
Au suivant au suivant
Mais je jure que d'entendre cet adjudant de mes fesses
C'est des coups à vous faire des armées d'impuissants
Au suivant au suivant 

Je jure sur la tête de ma première vérole
Que cette voix depuis je l'entends tout le temps
Au suivant au suivants
Cette voix qui sentait l'ail et le mauvais alcool
C'est la voix des nations et c'est la voix du sang
Au suivant au suivant
Et depuis chaque femme à l'heure de succomber
Entre mes bras trop maigres semble me murmurer
Au suivant au suivant 

Tous les suivants du monde devraient se donner la main
Voilà ce que la nuit je crie dans mon délire
Au suivant au suivant
Et quand je ne délire pas j'en arrive à me dire
Qu'il est plus humiliant d'être suivi que suivant
Au suivant au suivant
Un jour je me ferai cul-de-jatte ou bonne soeur ou pendu
Enfin un de ces machins où je ne serai jamais plus
Le suivant le suivant

MADELEINE
(2:53) (J. Brel) - © 1961


Ce soir j'attends Madeleine
J'ai apporté du lilas
J'en apporte toutes les semaines
Madeleine elle aime bien ça
Ce soir j'attends Madeleine
On prendra le tram trente-trois
Pour manger des frites chez Eugène
Madeleine elle aime tant ça
Madeleine c'est mon Noël
C'est mon Amérique à moi
Même qu'elle est trop bien pour moi
Comme dit son cousin Joël
Mais ce soir j'attends Madeleine
On ira au cinéma
Je pourrai lui dire des &laqno; je t'aime »
Madeleine elle aime tant ça
 
Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Elle est toute ma vie
Madeleine que j'attends là
 
Ce soir j'attends Madeleine
Mais il pleut sur mes lilas
Il pleut comme toutes les semaines
Et Madeleine n'arrive pas
Ce soir j'attends Madeleine
C'est trop tard pour le tram trente-trois
Trop tard pour les frites d'Eugène
Et Madeleine n'arrive pas
Madeleine c'est mon horizon
C'est mon Amérique à moi
Même qu'elle est trop bien pour moi
Comme dit son cousin Gaston
Mais ce soir j'attends Madeleine
Il me reste le cinéma
Je lui dirai des &laqno; je t'airne »
Madeleine elle aime tant ça
 
Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Elle est toute ma vie
Madeleine qui n'arrive pas
 
Ce soir j'attendais Madeleine
Mais j'ai jeté mes lilas
Je les ai jetés comme toutes les semaines
Madeleine ne viendra pas
Ce soir j'attendais Madeleine
C'est fichu pour le cinéma
Je reste avec mes &laqno; je t'aime »
Madeleine ne viendra pas
Madeleine c'est mon espoir
C'est mon Amérique à moi
Sûr qu'elle est trop bien pour moi
Comme dit son cousin Gaspard
Ce soir j'attendais Madeleine
Tiens le dernier tram s'en va
On doit fermer chez Eugène
Madeleine ne viendra pas
 
Elle est pourtant tellement jolie
Elle est pourtant tellement tout ça
Elle est pourtant toute ma vie
Madeleine qui ne viendra pas
 
Mais demain j'attendrai Madeleine
Je rapporterai du lilas
J'en rapporterai toute la semaine
Madeleine elle aimera ça
Demain j'attendrai Madeleine
On prendra le tram trente-trois
Pour manger des frites chez Eugène
Madeleine elle aimera ça
Madeleine c'est mon espoir
C'est mon Amérique à moi
Tant pis si elle est trop bien pour moi
Comme dit son cousin Gaspard
Demain j'attendrai Madeleine
On ira au cinéma
Je lui dirai des &laqno; je t'aime »
Et Madeleine elle aimera ça.

LES BOURGEOIS
(2:53) (J. Brel) - © 1962


Le cœur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l'ami Jojo
Et avec l'ami Pierre
On allait boire nos vingt ans
Jojo se prenait pour Voltaire
Et Pierre pour Casanova
Et moi moi qui étais le plus fier
Moi moi je me prenais pour moi
Et quand vers minuit passaient les notaires
Qui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
En leur chantant 

Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient bête
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient... 

Le cœur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l'ami Jojo
Et avec l'ami Pierre
On allait brûler nos vingt ans
Voltaire dansait comme un vicaire
Et Casanova n'osait pas
Et moi moi qui restais le plus fier
Moi j'étais presque aussi saoul que moi
Et quand vers minuit passaint les notaires
Qui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
En leur chantant 

Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient bête
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient... 

Le cœur au repos
Les yeux bien sur terre
Au bar de l'hôtel des "Trois Faisans"
Avec maître Jojo
Et avec maître Pierre
Entre notaires on passe le temps
Jojo parle de Voltaire
Et Pierre de Casanova
Et moi moi moi qui suis resté le plus fier
Moi moi je parle encore de moi
Et c'est en sortant vers minuit Monsieur le Comissaire
Que tous les soirs de chez la Montalant
De jeunes "peigne-culs" nous montrent leur derrière
En nous chantant 

Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient bête
Disent-ils Monsieur le comissaire
Les bourgeois
Plus ça devient vieux plus ça devient...