JEF
(3:38) (Jacques Brel) - © 1964
Non Jef t'es pas tout seul
Mais arrête de pleurer
Comme ça devant tout le monde
Juste parce qu'une demi-vieille
Parce qu'une fausse blonde
T'a relaissé tomber
Non Jef t'es pas tout seul
Mais tu sais que tu me fais honte
A sangloter comme ça
Bêtement devant tout le monde
Juste parce qu'une trois quarts putain
T'a claqué dans les mains
Non Jef t'es pas tout seul
Mais tu fais honte à voir
Les gens se paient notre tête
Foutons le camp de ce trottoir
Viens Jef viens viens viens
Viens il me reste trois sous
On va aller se les boires
Chez la mère Françoise
Viens Jef viens viens il me reste trois sous
Et si c'est pas assez
Ben il me restera l'ardoise
Puis on ira manger
Des moules et puis des frites
Des frites et puis des moules
Et du vin de Moselle
Et si t'es encore triste
On ira voir les filles
Chez la madame Andrée
Paraît qu'y en a de nouvelles
On rechantera comme avant
On sera bien tous les deux
Comme quand on était jeunes
Comme quand c'était le temps
Que j'avais de l'argent
Non Jef t'es pas tout seul
Mais arrête tes grimaces
Soulève tes cent kilos
Fais bouger ta carcase
Je sais que t'as le cœur gros
Mais il faut le soulever Jef
Non Jef t'es pas tout seul
Mais arrête de sangloter
Arrête de te répandre
Arrête de répéter
Que t'es bon à te foutre à l'eau
Ou que t'es bon à te pendre
Non Jef t'es pas seul
Mais c'est plus un trottoir
Ça devient un cinéma
Où les gens viennent te voir
Viens Jef mais viens viens
Viens il me reste ma guitare
Je t'allumerai pour toi
Et on sera espagnols
Jef viens viens
Comme quand on était mômes
Même que jamais pas ça
Tu imiteras le rossignol Jef
Puis on se trouvera un banc
On parlera de l'Amérique
Où c'est qu'on va aller tu sais
Quand on aura du fric Jef viens
Et si t'es encore triste
Ou rien que si tu en as l'air
Je te raconterai comment
Tu deviendras Rockefeller
On sera bien tous les deux
On rechantera comme avant
Comme quand c'était le temps
Comme quand c'était le temps
D'avant qu'on soit poivrots
Allez viens Jef viens
Oui oui Jef oui viens
TANGO FUNÈBRE
(2:44) (Jacques Brel / Gérard Jouannest) - © 1964
Ah! je les vois déjà
Me couvrant de baisers
Et s'arrachant mes mains
Et demandant tout bas
Est-ce que la mort s'en vient
Est-ce que la mort s'en va
Est-ce qu'il est encore chaud
Est-ce qu'il est déjà froid?
Ils ouvrent mes armoires
Ils tâtent mes faïences
Ils fouillent mes tiroirs
Se régalant d'avance
De mes lettres d'amour
Enrubannées par deux
Qu'ils liront près du feu
En riant aux éclats
Ah!Ah!Ah!Ah!Ah!Ah!Ah!
Ah ! je les vois déjà
Compassés et frileux
Suivant comme des artistes
Mon costume de bois
Ils se poussent du cœur
Pour être le plus triste
Ils se poussent du bras
Pour être le premier
Z'ont amené des vieilles
Qui ne me connaissaient plus
Z'ont amené des enfants
Qui ne me connaissaient pas
Pensent au prix des fleurs
Et trouvent indécent
De ne pas mourir au printemps
Quand on aime le lilas
Ah! Ah!...
Ah! je les vois déjà
Tous mes chers faux amis
Souriant sous le poids
Du devoir accompli
Ah je te vois déjà
Trop triste trop à l'aise
Protégeant sous le drap
Tes larmes lyonnaises
Tu ne sais même pas
Sortant de mon cimetière
Que tu entres en ton enfer
Quand s'accroche à ton bras
Le bras de ton quelconque
Le bras de ton dernier
Qui te fera pleurer
Bien autrement que moi
Ah! Ah!...
Ah! je me vois déjà
M'installant à jamais
Bien triste bien au froid
Dans mon champ d'osselets
Ah! je me vois déjà
Je me vois tout au bout
De ce voyage-là
D'où l'on revient de tout
Je vois déjà tout ça
Et on a le brave culot
D'oser me demander
De ne plus boire que de l'eau
De ne plus trousser les filles
De mettre de l'argent de côté
D'aimer le filet de maquereau
Et de crier vive le roi
Ah! Ah! Ah!...
LES DÉSESPÉRÉS
(3:49) (Jacques Brel / Gérard Jouannest) - © 1966
Se tiennent par la main et marchent en silence
Dans ces villes éteintes que le crachin balance
Ne sonnent que leurs pas, pas à pas fredonnés
Ils marchent en silence les désespérés
Ils ont brûlé leurs ailes, ils ont perdu leurs branches
Tellement naufragés que la mort paraît blanche
Ils reviennent d'amour ils se sont réveillés
Ils marchent en silence les désespérés
Et je sais leur chemin pour l'avoir cheminé
Déjà plus de cent fois cent fois plus qu'à moitié
Moins vieux ou plus meurtris, ils vont le terminer
Ils marchent en silence les désespérés
Et en dessous du pont l'eau est douce et profonde
Voici la bonne hôtesse voici la fin du monde
Ils pleurent leurs prénoms comme de jeunes mariés
Et fondent en silence les désespérés
Que se lève celui qui leur lance la pierre
Il ne sait de l'amour que le verbe s'aimer
Sur le pont n'est plus rien qu'une brume légère
Ça s'oublie en silence ceux qui ont espéré.
L'ÂGE IDIOT
(3:44) (Jacques Brel) - © 1966
L'âge idiot c'est à vingt fleurs
Quand le ventre brûle de faim
Qu'on croit se laver le cœur
Rien qu'en se lavant les mains
Qu'on a les yeux plus grands que le ventre
Qu'on a les yeux plus grands que le cœur
Qu'on a le cœur encore trop tendre
Qu'on a les yeux encore pleins de fleurs
Mais qu'on sent bon les champs de luzerne
L'odeur des tambours mal battus
Qu'on sent les clairons refroidis
Et les lits de petite vertu
Et qu'on s'endort toutes les nuits
Dans les casernes
L'âge idiot c'est à trente fleurs
Quand le ventre prend naissance
Quand le ventre prend puissance
Qu'il vous grignote le cœur
Quand les yeux se font plus lourds
Quand les yeux marquent les heures
Eux qui savent qu'à trente fleures
Commence le compte à rembours
Qu'on rejette les vieux dans leur caverne
Qu'on offre à Dieu des bonnets d'âne
Mais que le soir on s'allume des feux
En frottant deux cœurs de femmes
Et qu'on regrette déjà un peu
Le temps des casernes
L'âge idiot c'est à soixante fleurs
Quand le ventre se ballote
Quand le ventre ventripote
Qu'il vous a bouffé le cœur
Quand les yeux n'ont plus de larmes
Quand les yeux tombent en neige
Quand les yeux rendent les armes
Qu'on se ressent de ses armours
Mais qu'on se sent des patiences
Pour de vieilles sur le retour
Ou des trop jeunes en partance
Et qu'on se croit protégé
Par les casernes
L'âge d'or c'est quand on meurt
Qu'on se couche sous son ventre
Qu'on se cache sous son ventre
Les mains protègeant le cœur
Qu'on a les yeux enfin ouverts
Mais qu'on ne se regarde plus
Qu'on regarde la lumière
Et ses nuages pendus
L'âge d'or c'est après l'âge d'argent
On redevient petit enfant
Dedans le ventre de la terre
L'âge d'or c'est quand on dort
Dans sa dernière caserne.
MATHILDE
(2:37) (Jacques Brel / Gérard Jouannest) - © 1964
Ma mère voici le temps venu
D'aller prier pour mon salut
Mathilde est revenue
Bougnat tu peux garder ton vin
Ce soir je boirai mon chagrin
Mathilde est revenue
Toi la servante toi la Maria
Vaudrait peut-être mieux changer nos draps
Mathilde est revenue
Mes amis, ne me laissez pas
Ce soir je repars au combat
Maudite Mathilde puisque te v'là
Mon cœur, mon cœur ne t'emballe pas
Fais comme si tu ne savais pas
Que la Mathilde est revenue
Mon cœur arrête de répéter
Qu'elle est plus belle qu'avant l'été
La Mathilde qui est revenue
Mon cœur arrête de bringuebaler
Souviens-toi qu'elle t'a déchiré
La Mathilde qui est revenue
Mes amis ne me laissez pas
Dites-moi dites-moi qu'il ne faut pas
Maudite Mathilde puisque te v'là
Et vous mes mains restez tranquilles
C'est un chien qui nous revient de la ville
Mathilde est revenue
Et vous mes mains ne frappez pas
Tout ça ne vous regarde pas
Mathilde est revenue
Et vous mes mains ne tremblez plus
Souvenez-vous quand je vous pleurais dessus
Mathilde est revenue
Vous mes mains ne vous ouvrez pas
Vous mes bras ne vous tendez pas
Sacrée Mathilde puisque te v'là
Ma mère arrête tes prières
Ton Jacques retourne en enfer
Mathilde m'est revenue
Bougnat apporte-nous du vin
Celui des noces et des festins
Mathilde m'est revenue
Toi la servante toi la Maria
Va tendre mon grand lit de draps
Mathilde m'est revenue
Amis ne comptez plus sur moi
Je crache au ciel encore une fois
Ma belle Mathilde puisque te v'là te v'là.
AU SUIVANT
(3:07) (Jacques Brel) - © 1964
Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne
J'avais le rouge au front et le savon à la main
Au suivant au suivant
J'avais juste vingt ans et nous étions cent vingt
A être le suivant de celui qu'on suivait
Au suivant au suivant
J'avais juste vingt ans et je me déniaisais
Au bordel ambulant d'une armée en campagne
Au suivant au suivant
Moi j'aurais bien aimé un peu plus de tendresse
Ou alors un sourire ou bien avoir le temps
Mais au suivant au suivant
Ce ne fut pas Waterloo non non mais ce ne fut pas Arcole
Ce fut l'heure où l'on regrette d'avoir manqué l'école
Au suivant au suivant
Mais je jure que d'entendre cet adjudant de mes fesses
C'est des coups à vous faire des armées d'impuissants
Au suivant au suivant
Je jure sur la tête de ma première vérole
Que cette voix depuis je l'entends tout le temps
Au suivant au suivants
Cette voix qui sentait l'ail et le mauvais alcool
C'est la voix des nations et c'est la voix du sang
Au suivant au suivant
Et depuis chaque femme à l'heure de succomber
Entre mes bras trop maigres semble me murmurer
Au suivant au suivant
Tous les suivants du monde devraient se donner la main
Voilà ce que la nuit je crie dans mon délire
Au suivant au suivant
Et quand je ne délire pas j'en arrive à me dire
Qu'il est plus humiliant d'être suivi que suivant
Au suivant au suivant
Un jour je me ferai cul-de-jatte ou bonne soeur ou pendu
Enfin un de ces machins où je ne serai jamais plus
Le suivant le suivant
TITINE
(2:26) (Jacques Brel / Gérard Jouannest - Jean Corti) - © 1964
J'ai retrouvé Titine
Titine oh ma Titine
J'ai retrouvé Titine
Que je ne trouvais pas
Je l'ai retrouvée par hasard
Qui vendait du buvard
Derrière une vitrine
De la gare St-Lazare
Je lui ai dit Titine
Titine oh ma Titine
Je lui ai dit Titine
Pourquoi m'avoir quitté
Tu es partie comme ça
Sans un geste sans un mot
Voir un film de Charlot
Au ciné de l'Olympia
Et y a trente ans déjà
Que nous te cherchions partout
Mon Hispano et moi
En criant comme des fous
Je cherche après Titine
Titine oh ma Titine
Je cherche après Titine
Mais j'ai retrouvé Titine
Titine, oh ma Titine
J'ai retrouvé Titine
Que je ne trouvais pas
Je l'avais cherchée partout
Au Chili au Tonkin
Je l'avais cherchée en vain
Au Gabon au Pérou
Je lui ai dit Titine
Titine oh ma Titine
Je lui ai dit Titine
Je t'en supplie reviens
Tu as changé je sais bien
T'es un peu moins tentante
Puis tu marches comme Chaplin
Et tu es devenue parlante
Mais enfin c'est mieux que rien
Quand on vit depuis trente ans
Tout seul avec un chien
Et avec douze enfants
Qui cherchent après Titine
Titine oh ma Titine
Qui cherchent après Titine
Mais j'ai retrouvé Titine
Titine oh ma Titine
J'ai retrouvé Titine
Que je ne trouvais pas
J'aimerais que vous la voyiez
Titine elle est en or
Bien plus que Valentine
Bien plus qu'Eléonore
Mais hier quand je lui ai dit
Titine oh ma Titine
Ouand je lui ai dit Titine
Est-ce que tu m'aimes encore ?
Elle est repartie comme ça
Sans un geste sans un mot
Voir un film de Charlot
Au ciné de l'Olympia
Alors voilà pourquoi
Nous la cherchons partout
Mon Hispano et moi
En criant comme des fous
Je cherche après Titine
Titine oh ma Titine
Je cherche après Titine
Mais je retrouverai Titine
Titine oh ma Titine
Je retrouverai Titine
Et tout ça s'arrangera.
QUAND MAMAN REVIENDRA
(3:47) (Jacques Brel / François Rauber) - © 1963
Quand ma maman reviendra
C'est mon papa qui sera content
Quand elle reviendra maman
Qui c'est qui sera content : c'est moi
Elle reviendra comme chaque fois
A cheval sur un chagrin d'amour
Et pour mieux fêter son retour
Toute la sainte famille sera là
Et elle me rechantera les chansons
Les chansons que j'aimais tellement
On a tellement besoin de chansons
Quand il paraît qu'on a vingt ans
Quand mon frère il reviendra
C'est mon papa qui sera content
Quand il reviendra le Fernand
Qui c'est qui sera content : c'est moi
Il reviendra de sa prison
Toujours à cheval sur ses principes
Il reviendra et toute l'équipe
L'accueillera sur le perron
Et il me racontera les histoires
Les histoires que j'aimais tellement
On a tellement besoin d'histoires
Quand il paraît qu'on a vingt ans
Quand ma soeur elle reviendra
C'est mon papa qui sera content
Quand reviendra la fille de maman
Qui c'est qui sera content : c'est moi
Elle nous reviendra de Paris
Sur le cheval d'un prince charmant
Elle reviendra et toute la famille
L'accueillera en pleurant
Et elle me redonnera son sourire
Son sourire que j'aimais tellement
On a tellement besoin de sourires
Quand il paraît qu'on a vingt ans
Quand mon papa reviendra
C'est mon papa qui sera content
Quand il reviendra en gueulant
Qui c'est qui sera content : c'est moi
Il reviendra du bistrot du coin
A cheval sur une idée noire
Il reviendra que quand il sera noir
Que quand il en aura besoin
Et il me redonnera des soucis
Des soucis que j'aime pas tellement
Mais il paraît qu'il faut des soucis
Quand il paraît qu'on a vingt ans
Si ma maman revenait
Qu'est-ce qui serait content papa
Si ma maman revenait
Qui c'est qui serait content : c'est moi.
LE DERNIER REPAS
(3:28) (Jacques Brel) - © 1964
À mon dernier repas
Je veux voir mes frère
Et mes chiens et mes chats
Et le bord de la mer
À mon dernier repas
Je veux voir mes voisins
Et puis quelques chinois
En guise de cousins
Et je veux qu'on y boive
En plus du vin de messe
De ce vin si joli
Qu'un buvait en Arbois
Je veux qu'on y dévore
Après quelques soutanes
Une poule faisanne
Venue du Périgord
Puis je veux qu'on m'emmène
En haut de ma colline
Voir les arbres dormir
En refermant leurs bras
Et puis je veux encore
Lancer des pierres au ciel
En criant Dieu est mort
Une dernière fois
À mon dernière repas
Je veux voir mon âne
Mes poules et mes oies
Mes vaches et mes femmes
À mon dernière repas
Je veux voir ces drôlesses
Dont je fus maître et roi
Ou qui furent mes maîtresses
Quand j'aurais dans la panse
De quoi noyer la terre
Je briserai mon verre
Pour faire le silence
Et chant'rai à tue-tête
À la mort qui s'avance
Les paillardes romances
Qui font peur aux nonnettes
Puis je veux qu'on m'emmène
En haut de ma colline
Voir le soir qui chemine
Lentement vers la plaine
Et là debout encore
J'insult'rai les bourgeois
Sans crainte et sans remords
Une dernière fois.
Après mon dernière r'pas
Je veux que l'on s'en aille
Qu'on finisse ripaille
Ailleurs que sous mon toit
Après mon dernière r'pas
Je veux que l'on m'installe
Assis seul comme un roi
Accueillant ses vestales
Dans ma pip'je brûlerai
Mes souvenirs d'enfance
Mes rêves inachevés
Mes restes d'espérance
Et je ne garderai
Pour habiller mon âme
Que l'idée d'un rosier
Et qu'un prénom de femme
Puis je regarderai
Le haut de ma colline
Qui dans' qui se devine
Qui finit par sombrer
Et dans l'odeur des fleurs
Qui bientôt s'éteindra
Je sais que j'aurai peur
Une dernière fois.
GRAND-MÈRE
(3:40) (Jacques Brel) - © 1966
Faut voir Grand-Mère
Grand-Mère et sa poitrine
Grand-Mère et ses usines
Et ses vingt secrétaires
Faut voir Grand-Mère
Diriger ses affaires
Elle vend des courants d'air
Déguisés en coups de vent
Faut voir Grand-Mère
Quand elle compte son magot
Ça fait des tas de zéros
Pointés comme son derrière
Mais pendant ce temps-là Grand-Père court après la bonne
En lui disant que l'argent ne fait pas de bonheur
Comment voulez-vous bonnes gens que nos bonnes bonnes
Et que nos petits épargnants aient le sens des valeurs
Faut voir Grand-Mère
C'est une tramontane
Qui fume la havane
Et fait trembler la terre
Faut voir Grand-Mère
Cerclée de généraux
Entre culotte de peau
Et gagner leurs guèguerres
Faut voir Grand-Mère
Dressée sous son chapeau
C'est Waterloo
Où ne serait pas venu Blücher
Mais pendant ce temps-là Grand-Père court après la bonne
Et lui disant que l'armèe elle bat le beurre
Comment voulez-vous bonnes gens que nos bonnes bonnes
Et que nos chers pioupios aient le sens des valeurs
Faut voir Grand-Mère
S'assurer sur la mort
Un p'tit coup de presbytère
Un p'tit coup de remords
Faut voir Grand-Mère
Et ses ligues de vertu
Ses anciens combattants
Ses anciens qui ont combattus
Faut voir Grand-Mère
Quand elle se croit pécheresse
Un grand verre de grand-messe
Et un doigt de couvent
Mais pendant ce tems-là Grand-Père court après la bonne
Et lui disant que les curés sont des farceurs
Comment voulez-vous bonnes gens que nos bonnes bonnes
Et que nos petits incroyants aient le sens des valeurs
Mais faut voir Grand-Mère
Dans les bistrots bavards
Où claquent les billards
Et les chopes de bière
Faut voir Père-Grand
Caresser les roseaux
Effeuiller les étangs
Et pleurer du Rimbaud
Faut voir Grand-Père
Dimanche finissant
Honteux et regrettant
D'avoir trompé Grand-Mère
Mais pendant ce temps-là Grand-Mère se tape la bonne
En lui disant que les hommes sont menteurs
Comment voulez-vous bonnes gens que nos bonnes bonnes
Et que notre belle jeunesse aient le sens des valeurs.
FERNAND
(5:17) (Jacques Brel / Jacques Brel - Gérard Jouannest) - © 1966
Dire que Fernand est mort
Dire qu'il est mort Fernand
Dire que je suis seul derrière
Dire qu'il est seul devant
Lui dans sa dernière bière
Moi dans mon brouillard
Lui dans son corbillard
Et moi dans mon désert
Devant il n'y a qu'un cheval blanc
Derrière il n'y a que moi qui pleure
Dire qu'il n'y a même pas de vent
Pour agiter mes fleurs
Moi, si j'étais le bon Dieu
Je crois que j'aurais des remords
Dire que maintenant il pleut
Dire que Fernand est mort
Dire qu'on traverse Paris
Dans le tout petit matin
Dire qu'on traverse Paris
Et qu'on dirait Berlin
Toi tu sais pas tu dors
Mais c'est triste à mourir
D'être obligé de partir
Quand Paris dort encore
Moi je crève d'envie
De réveiller des gens
Je t'inventerai une famille
Juste pour ton enterrement
Et puis si j'étais le bon Dieu
Je crois que je s'rais pas fier
Je sais on fait ce qu'on peut
Mais y a la manière
Tu sais je reviendrai
Je reviendrai souvent
Dans ce putain de champ
Où tu dois te reposer
L'été je te ferai de l'ombre
On boira du silence
A la santé de Constance
Qui se fout bien de ton ombre
Et puis les adultes sont tellement...
Qu'ils nous feront bien une guerre
Alors je viendrai pour de bon
Dormir dans ton cimetière
Et maintenant bon Dieu
Tu vas bien rigoler
Et maintenant bon Dieu
Maintenant e vais pleurer.
LA CHANSON DE JACKY
(3:25) (Jacques Brel / Gérard Jouannest) - © 1966
Même si un jour à Knokke-le-Zoute
Je deviens comme je le redoute
Chanteur pour femmes finissantes
Même si je leur chante "Mi corazon"
Avec la voix bandonéante
D'un Argentin de Carcasonne
Même si on m'appelle Antonio
Que je brûle mes derniiers feux
En échange de quelques cadeaux
Madame madame je fais ce que je peux
Même si je me saoule à l'hydromel
Pour mieux parler de virilité
A des mémères décorées
Comme des arbres de Noël
Je sais que dans ma saoulographie
Chaque nuit pour des éléphants roses
Je leur chanterai ma chanson morose
Celle du temps où je m'appelais Jacky
Etre une heure une heure seulement
Etre une heure une heure quelquefois
Etre une heure rien qu'une heure durant
Beau beau beau et con à la fois
Même si un jour à Macao
Je deviens gouverneur de tripot
Cerclé de femmes lanquissantes
Même si lassé d'être chanteur
J'y sois devenu maître chanteur
Et que ce soient les autres qui chantent
Même si on m'appelle le beau Serge
Que je vende des bateaux d'opium
Du whisky de Clermont-Ferrand
Des vrais pédés de fausses vierges
Que j'aie une banque à chaque doigt
Et un doigt dans chaque pays
Et que chaque pays soit à moi
Je sais quand même que chaque nuit
Tout seul au fond de ma fumerie
Pour un public de vieux Chinois
Je leur chanterai ma chanson à moi
Celle du temps où je m'appelais Jacky
Etre une heure une heure seulement
Etre une heure une heure quelquefois
Etre une heure rien qu'une heure durant
Beau beau beau et con à la fois
Même si un jour au paradis
Je devienne comme j'en serais surpris
Chanteur pour femmes à ailes blanches
Même si je leur chante alleluia
En regrettant le temps d'en bas
Où c'est pas tout les jours dimanche
Même si on m'appelle Dieu le Père
Celui qui est dans l'annuaire
Entre Dieulefit et Dieu vous garde
Même si je me laisse pousser la barbe
Même si toujours trop bonne pomme
Je me crève le cœur et le pur esprit
A vouloir consoler les hommes
Je sais quand même que chaque nuit
J'entendrai dans mon paradis
Les anges les saintes et Lucifer
Me chanter ma chanson de naguère
Celle du temps où je m'appelais Jacky
Etre une heure une heure seulement
Etre une heure une heure quelquefois
Etre une heure rien qu'une heure durant
Beau beau beau et con à la fois
CES GENS-LÀ
(4:41) (Jacques Brel) - © 1966
D'abord il y a l'aîné
Lui qui est comme un melon
Lui qui a un gros nez
Lui qui sait plus son nom
Monsieur tellement qui boit
Ou tellement qu'il a bu
Qui fait rien de ses dix doigts
Mais lui qui n'en peut plus
Lui qui est complètement cuit
Et qui se prend pour le roi
Qui se saoule toutes les nuits
Avec du mauvais vin
Mais qu'on retrouve matin
Dans l'église qui roupille
Raide comme une saillie
Blanc comme un cierge de Pâques
Et puis qui balbutie
Et qui a l'oeil qui divague
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne pense pas Monsieur
On ne pense pas on prie
Et puis, il y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'a jamais vu un peigne
Qu'est méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux
Qui a marié la Denise
Une fille de la ville
Enfin d'une autre ville
Et que c'est pas fini
Qui fait ses petites affaires
Avec son petit chapeau
Avec son petit manteau
Avec sa petite auto
Qu'aimerait bien avoir l'air
Mais qui n'a pas l'air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n'a pas le sou
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne vit pas Monsieur
On ne vit pas on triche
Et puis, il y a les autres
La mère qui ne dit rien
Ou bien n'importe quoi
Et du soir au matin
Sous sa belle gueule d'apôtre
Et dans son cadre en bois
Il y a la moustache du père
Qui est mort d'une glissade
Et qui regarde son troupeau
Bouffer la soupe froide
Et ça fait des grands fichss
Et ça fait des grands fichss
Et puis il y a la toute vieille
Qu'en finit pas de vibrer
Et qu'on n'écoute même pas
Vu que c'est elle qu'a l'oseille
Et qu'on écoute même pas
Ce que ses pauvres mains racontent
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne cause pas Monsieur
On ne cause pas on compte
Et puis et puis
Et puis il y a Frida
Qui est belle comme un soleil
Et qui m'aime pareil
Que moi j'aime Frida
Même qu'on se dit souvent
Qu'on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pas
Les autres ils disent comme ça
Qu'elle est trop belle pour moi
Que je suis tout juste bon
A égorger les chats
J'ai jamais tué de chats
Ou alors y a longtemps
Ou bien j'ai oublié
Ou ils sentaient pas bon
Enfin ils ne veulent pas
Parfois quand on se voit
Semblant que c'est pas exprès
Avec ses yeux mouillants
Elle dit qu'elle partira
Elle dit qu'elle me suivra
Alors pour un instant
Pour un instant seulement
Alors moi je la crois Monsieur
Pour un instant
Pour un instant seulement
Parce que chez ces gens-là
Monsieur on ne s'en va pas
On ne s'en va pas Monsieur
On ne s'en va pas
Mais il est tard Monsieur
Il faut que je rentre chez moi
LA, LA, LA
(4:10) (Jacques Brel) - © 1967
Quand je serai vieux, je serai insupportable
Sauf pour mon lit et mon maigre passé
Mon chien sera mort, ma barbe sera minable
Toutes mes morues m'auront laissé tomber
J'habiterai une quelconque Belgique
Oui m'insultera tout autant que maintenant
Quand je lui chanterai Vive la République
Vivent les Belgiens merde pour les Flamingants...
la... la... la
la... la... la
Je serai fui comme un vieil hôpital
Par tous les ventres de haute société
Je boirai donc seul ma pension de cigale
Il faut bien être lorsque l'on a été
Je ne serai reçu que par les chats du quartier
A leur festin pour qu'ils ne soient pas treize
Mais j'y chanterai sur une simple chaise
J'y chanterai après le rat crevé
Messieurs, dans le lit de la Marquise
C'était moi les 80 chasseurs...
la ... la ... la
Quand viendra l'heure imbécile et fatale
Où il paraît que quelqu'un nous appelle
J'insulterai le flic sacerdotal
Penché vers moi comme un larbin du ciel
Et je mourirrai cerné de rigolos
En me disant qu'il était chouette Voltaire
Et que si y en a des qu'ont une plume au chapeau
Y en a des qui ont une plume dans le derrière...
la... la... la
la... la... la.
LE CHEVAL
(3:09) (Jacques Brel / Gérard Jouannest) - © 1967
J'étais vraiment j'étais bien plus heureux
Bien plus heureux avant quand j'étais cheval
Que je traînais Madame votre landau
Jolie Madame dans les rues de Bordeaux
Mais tu as voulu que je sois ton amant
Tu as même voulu que je quitte ma jument
Je n'étais qu'un cheval oui oui mais tu en as profité
Par amour pur toi je me suis déjumenté
Et depuis toutes les nuits
Dans ton lit de satin blanc
Je regrette mon écurie
Mon écurie et ma jument
J'étais vraiment vraiment bien plus heureux
Bien plus heureux avant quand j'étais cheval
Que tu t'foutais Madame la gueule par terre
Jolie madame quand tu forçais le cerf
Mais tu as voulu que je marche sur les pattes de derrière
Je n'étais qu'un cheval oui oui mais tu m'as couillonné hein
Par amour pour toi je me suis derrièrisé
Et depuis toutes les nuits
Quand nous dansons le tango
Je regrette mon écurie
Mon écurie et mon galop
J'étais vraiment vraiment bien plus heureux
Bien plus heureux avant quand j'étais cheval
Que je te promenais Madame sur mon dos
Jolie Madame en fôret de Fontainebleau
Mais tu as voulu que je sois ton banquier
Tu as même voulu que je mette à chanter
Je n'étais qu'un cheval oui oui tu en as abusé
Par amour pour toi je me suis variété
Et depuis toutes les nuits
Quand je chante "ne me quitte pas"
Je regrette mon écurie
Et mes silences d'autrefois
Et puis et puis tu es partie radicale
Avec un zébre un zébre mal rayé
Le jour Madame où je t'ai refusé
D'apprendre à monter à cheval
Mais tu m'avais pris ma jument mon silence
Mes sabots mon écurie mon galop
Tu ne m'as laissé que mes dents
Et voilà pourquoi je cours je cours
Je cours le monde en henissant
Me voyant refuser l'amour
Par les femmes et par les juments
J'étais vraiment vraiment bien plus heureux
Bien plus heureux avant quand j'étais cheval
Que je promenais Madame votre landau
Quand j'étais cheval et quand tu étais chameau.
MON ENFANCE
(5:39) (Jacques Brel) - © 1967
Mon enfance passa
De grisailles en silences
De fausses révérences
En manque de batailles
L'hiver j'étais au ventre
De la grande maison
Qui avait jeté l'ancre
Au nord parmi les joncs
L'été à moitié Mais tout à fait modeste
Je devenais indien
Pourtant déjà certain
Que mes oncles repus
M'avaient volé le Far West
Mon enfance passa
Les femmes aux cuisines
Où je rêvais de Chine
Vieillissaient en repas
Les hommes au fromage
S'enveloppaient de tabac
Flamands taiseux et sages
Et ne me savaient pas
Moi qui toutes les nuits
Agenouillé pour rien
Arpégeais mon chagrin
Au pied du trop grand lit
Je voulais prendre un train
Que je n'ai jamais pris
Mon enfance passa
De servante en servante
Je m'étonnais déjà
Qu'elles ne fussent point plantes
Je m'étonnais encore
De ces ronds de famille
Flânant de mort en mort
Et que le deuil habille
Je m'étonnais surtout
D'être de ce troupeau
Qui m'apprenait à pleurer
Que je connaissais trop
J'avais l'oeil du berger
Mais le cÏur de l'agneau
Mon enfance éclata
Ce fut l'adolescence
Et le mur du silence
Un matin se brisa
Ce fut la première fleur
Et la première fille
La première gentille
Et la première peur
Je volais je le jure
Je jure que je volais
Mon cÏur ouvrait les bras
Je n'étais plus barbare
Et la guerre arriva
Et nous voilà ce soir.
LES BONBONS 67
(2:56) (Jacques Brel) - © 1967
Je viens rechercher mes bonbons
Vois-tu Germaine j'ai eu trop mal
Quand tu m'as fait cette réflexion
Au sujet de mes cheveux longs
C'est la rupture bête et brutale
Je viens rechercher mes bonbons
Maintenant je suis un autre gar&cce dil;on
J'habite à l'hôtel George-V
J'ai perdu l'accent bruxellois
D'ailleurs plus personne n'a cet accent-là
Sauf Brel à la tél&ea cute;vision
Je viens rechercher mes bonbons
Quand père m'agace, moi
je lui fais zop
Je traite ma mère de n&eacut e;vropathe
Faut dire que père est vache ment bath
Alors que mère est un peu snob
Mais enfin, tout ça hein c'est le conflit des gén&eac ute;rations
Je viens rechercher mes bonbons
Et tous les samedis soir que je peux
Germaine j'écoute pousser mes cheveux
Je fais &laqno; glouglou » je fais &laqno; miam miam »
Je défile criant Paix au Vietnam,
Parce qu'enfin j'ai mes opinions
Je viens rechercher mes bonbons
Oh, mais ça c'est votre jeun e frère, Mademoiselle Germaine
C'est celui qu'est flamingant
Je vous ai apporté des bonbons...